D’ici juillet 2018, la marijuana sera probablement légale au Canada. L’accès à la marijuana aura une panoplie de conséquences pour la santé. La marijuana est par ailleurs de plus en plus prescrite pour divers maux, dont la douleur et l’inflammation causée par l’arthrose et d’autres problèmes qui touchent souvent les aînées – qui sont le plus à risque de développer une maladie du cœur. Les effets de la marijuana pour le cœur, que vous ayez déjà vécu un événement cardiaque ou que vous soyez considérés à risque, sont peu connus.
Le médecin et chercheur Andrew Pipe et le spécialiste du comportement Robert Reid, Ph. D., tous les deux de la Division de prévention et de réadaptation de l’Institut de cardiologie d’Ottawa ont publié de nombreux articles sur la prévention de la maladie du cœur. Le Dr Pipe est franc : « On s’aventure carrément en territoire inconnu quand on veut savoir les liens entre la marijuana et la maladie du cœur. »
Puisque la marijuana est depuis longtemps illégale au Canada, elle n’a jamais été dans les priorités des chercheurs en santé. L’étudier comportait par ailleurs son lot d’obstacles. Nous n’en savons pas beaucoup sur les effets de cette substance sur le système cardiovasculaire, selon ces deux spécialistes.
« Je pense qu’il y aura de plus en plus de recherches à ce sujet avec cette nouvelle approche envers la marijuana », affirme M. Reid, chef adjoint de la division.
Ce que nous apprennent les recherches
Un article de synthèse de 2014 publié dans le New England Journal of Medicine résume ce que la science sait sur les effets de la marijuana sur tous les aspects de la santé. Les auteurs soulignaient que l’utilisation de la marijuana était associée à des problèmes vasculaires comme l’augmentation du risque de crise cardiaque et d’AVC, bien que les mécanismes sous-jacents n’étaient pas connus. L’article soulignait également que le risque était surtout associé à l’utilisation ponctuelle de la marijuana et n’était pas forcément cumulatif. Selon M. Reid, il existe certaines données qui indiquent que, surtout pour les jeunes hommes, la consommation de marijuana pourrait faire augmenter le risque de crise cardiaque dans l’heure qui suit. Chez les jeunes femmes, ce risque n’augmenterait pas autant.
Un autre article de 2013 paru dans l’American Heart Journal décrivait que la consommation régulière de marijuana avant une crise cardiaque était associée à un taux de mortalité plus élevé pendant les 18 années suivantes, quoique la différence n’avait pas de signification statistique.
Le Dr Pipe et M. Reid s’attendent à ce que l’intérêt augmente pour la recherche sur la consommation de marijuana. Selon eux et la documentation scientifique actuelle – et c’est une question de gros bon sens – utiliser une substance nouvellement légalisée doit se faire avec prudence. Il est inutile de l’essayer si on craint de s’exposer à des risques.
Les effets psychologiques de la marijuana
Lorsque vous fumez de la marijuana, votre rythme cardiaque et votre tension artérielle augmentent. En même temps, et cela est vrai pour tout ce qui se fume, que ce soit du tabac, de la marijuana ou un mélange des deux, votre sang perd un peu de sa capacité à distribuer l’oxygène partout dans votre corps. C’est un effet causé par les produits de la combustion, comme le monoxyde de carbone. Cette combinaison d’effets entraîne une augmentation du risque de subir un événement cardiaque (comme une crise cardiaque), surtout pendant que la personne fume et immédiatement après.
« On pourrait peut-être dire que personne ne devrait jamais fumer de marijuana en raison des produits de la combustion, a déclaré le Dr Pipe. On peut dire avec certitude, en tout cas, que fumer de la marijuana réduit la capacité du sang à distribuer de l’oxygène. Ça, ce n’est pas souhaitable. »
M. Reid a indiqué que les liens entre la consommation de marijuana et la maladie du cœur demeuraient à ce stade-ci « très théoriques ». Il existe tout de même des données qui indiquent que la consommation de marijuana pourrait entraîner une apparition plus rapide des angines provoquées par l’exercice physique pendant une épreuve d’effort chez les personnes atteintes d’une maladie cardiaque. Cela fournirait un autre indice comme quoi il serait peut-être préférable de ne pas consommer de la marijuana, indique-t-il. De plus, il souligne que la marijuana pourrait causer des problèmes aux personnes qui ont un rythme cardiaque irrégulier (arythmie), car elle active le système nerveux sympathique.
Que se passe-t-il dans votre cœur lorsque vous fumez de la marijuana?
Votre rythme cardiaque et votre tension artérielle augmentent, ce qui force votre cœur à travailler plus fort.
La capacité de votre sang à distribuer l’oxygène partout dans le corps (incluant votre cœur) est réduite.
Résultat : votre cœur doit travailler plus fort et est moins en mesure de répondre à une demande accrue.
Pourquoi est-il difficile d’évaluer les impacts?
En théorie, il ne devrait pas être très difficile d’évaluer l’impact de la consommation de marijuana. En réalité, c’est tout un défi.
D’abord, la marijuana est rarement consommée seule. Les gens consomment souvent aussi du tabac ou de l’alcool en même temps. Et même si la quantité fumée est inférieure pour la marijuana que pour le tabac, il semblerait que la marijuana rend plus difficile l’abandon du tabac. En réalité, la plupart utilise les deux simultanément, ce qui, selon le Dr Reid « complique la donne ».
« De nombreuses personnes qui fument beaucoup de marijuana quotidiennement viennent à nous parce qu’ils veulent arrêter de fumer, affirme le Dr Pipe. Mais les personnes qui mélangent marijuana et tabac ont moins de chances de réussir à arrêter. »
Un autre problème, c’est le dosage. Il n’y a aucune norme pour la production de marijuana et la quantité de THC (l’ingrédient psychoactif dans la marijuana) qu’elle contient. « Ce problème est d’autant plus important lorsque la marijuana est ingérée, précise le Dr Pipe. Les gens qui mangent la marijuana plutôt que la fumer ne ressentent pas les effets aussi rapidement et ont donc tendance à en consommer plus. »
La marijuana et la dépression
Une inquiétude souvent soulevée est le lien entre marijuana et dépression. La dépression est un facteur de risque connu de la maladie du cœur, en partie parce qu’elle affecte la capacité d’un patient à adopter des comportements plus sains. Plusieurs pensent que la marijuana peut mener à la dépression.
En réalité, c’est la question de l’œuf ou la poule. « On ne sait réellement pas si la marijuana peut causer la dépression, explique le Dr Pipe. Ni même si les gens en dépression ont tendance à s’automédicamenter en utilisant la marijuana. » En tout cas, il s’agit là d’une autre question qui mérite davantage de recherche.
La marijuana comestible
Ingérer la marijuana est une option pour éviter les toxines associées avec la combustion, mais représente d’autres risques semblables.
« Pour ce qui est de la capacité du sang à distribuer l’oxygène, l’ingestion de marijuana n’a pas le même impact, affirme M. Reid. Il existe tout de même certains effets sur le rythme cardiaque et la tension artérielle. »
« C’est certainement un autre sujet fertile pour la recherche, enchaîne le Dr Pipe. Surtout isoler les composés chimiques de la marijuana qui ont un effet thérapeutique et éliminer les ingrédients psychoactifs. »
« On ne recommande pas aux gens qui ont des douleurs de mâcher de l’écorce de saule (la source de l’ingrédient actif de l’Aspirine), on leur dit de prendre de l’Aspirine, explique-t-il. Pourquoi cela devrait-il être différent avec la marijuana? »
Que doivent faire les patients?
Toute cette incertitude fait en sorte qu’il est difficile d’émettre des recommandations aux patients. M. Reid conseille aux patients d’en parler avec leur médecin, tout comme ils le feraient pour l’alcool, et surtout de faire preuve de prudence jusqu’à ce qu’on en sache plus.
« Fumer de la marijuana n’est probablement pas une bonne idée pour une personne atteinte d’une cardiopathie ischémique en raison de la capacité réduite du sang à distribuer l’oxygène, déclare le Dr Reid. Il n’y a pas de raison de commencer à utiliser la marijuana, surtout si on ne connaît pas les risques. »
« N’en fumez pas, ajoute le Dr Pipe. Ayez une conversation sérieuse avec votre médecin à ce sujet. »
« C’est avec confiance que je peux vous dire que si vous n’en fumez pas déjà, il n’y a aucune bonne raison de commencer maintenant », conclut M. Reid.